Maîtrisez l’Acte Additionnel CEDEAO (A/SA.5/12/18) : élimination de la double imposition (méthodes, scope), échange d’informations et lutte contre l’évasion fiscale. Le guide stratégique.
Chers fiscalistes, investisseurs, et chefs d’entreprise opérant en Afrique de l’Ouest, bienvenue sur sagessejuridique.com.
Nous analysons aujourd’hui un document qui est l’équivalent des Conventions Fiscales Internationales au niveau régional : l’Acte Additionnel A/SA.5/12/18 de la CEDEAO, portant sur l’Élimination de la Double Imposition et la Prévention de la Fraude et de l’Évasion Fiscales entre les États membres. Adopté le 18 décembre 2018, cet Acte est la réponse normative et communautaire à l’un des plus grands freins à la libre circulation des capitaux : la fiscalité.
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MAIS ATTENTION ! Contrairement aux Actes Uniformes de l’OHADA que nous avons précédemment décryptés, cet Acte est une initiative de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Il représente une étape cruciale pour l’établissement d’une véritable union économique et monétaire en harmonisant les règles fiscales pour les transactions transfrontalières. Sa portée est immense : il transforme la manière dont les sociétés, les revenus et les patrimoines sont imposés lorsque des liens existent entre deux États membres de la CEDEAO. Lire cet Acte sans comprendre sa stratégie, c’est risquer de payer deux fois (ou de se mettre en situation d’évasion).
I. Le Changement de Cadre : De la Fragmentation à l’Harmonisation Fiscale
Historiquement, les investissements et le commerce au sein de la CEDEAO étaient compliqués par la superposition des lois fiscales nationales. Une entreprise nigériane investissant au Ghana ou un particulier ivoirien possédant des biens au Sénégal était souvent confronté à la double imposition (le même revenu ou capital imposé par deux États différents), réduisant la rentabilité et décourageant les mouvements de capitaux.
L’Acte Additionnel CEDEAO Double Imposition répond à ce problème en imposant un ensemble de règles communautaires qui priment sur les lois fiscales nationales, dans le but de :
- Stimuler l’Investissement : Rendre l’investissement dans un autre État membre plus attractif en garantissant que les revenus ne sont pas pénalisés fiscalement.
- Clarifier les Règles d’Attribution : Définir avec précision quel État membre a le droit d’imposer quel type de revenu (intérêt, dividende, redevance, plus-value, etc.).
- Lutter contre l’Évasion : Mettre en place des mécanismes de coopération pour s’assurer que l’élimination de la double imposition ne devienne pas un outil d’optimisation agressive ou de fraude.
Le Champ d’Application Matériel (Art. 4)
L’Acte s’applique aux impôts sur :
- Les Revenus (impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu des personnes physiques).
- Les Capitaux (impôts sur la fortune, etc.).
- Les Successions (droits de succession).
Il est conçu pour régir la fiscalité applicable aux personnes physiques et morales résidentes d’un ou de plusieurs États membres de la CEDEAO.
II. Le Cœur de l’Acte : Les Règles d’Élimination de la Double Imposition
L’Acte Additionnel définit les règles pour résoudre les conflits de compétence fiscale (l’État de résidence et l’État de la source qui réclament tous deux le droit d’imposer un revenu). Il privilégie une approche basée sur le Modèle de Convention Fiscale de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques), adapté au contexte communautaire.
1. Les Règles d’Attribution par Catégorie de Revenu
L’Acte établit des règles claires pour déterminer l’État d’imposition pour les catégories de revenus les plus courantes :
2. Les Méthodes d’Élimination de la Double Imposition
Une fois que l’État de la source a exercé son droit d’imposer, l’État de résidence du contribuable doit accorder un allègement. L’Acte Additionnel prévoit deux méthodes principales :
- Méthode de l’Exemption (Exemption Method) : L’État de résidence exclut purement et simplement de sa base imposable les revenus qui ont déjà été imposés dans l’autre État membre. C’est la méthode la plus favorable aux contribuables, car elle élimine toute imposition résiduelle.
- Méthode du Crédit d’Impôt (Credit Method) : L’État de résidence inclut le revenu dans sa base imposable, mais déduit du montant de l’impôt national le montant de l’impôt déjà payé dans l’autre État membre. Le crédit est généralement limité au montant de l’impôt national dû sur ce même revenu.
L’Acte Additionnel encourage l’utilisation de ces méthodes pour garantir qu’un revenu ne soit imposé qu’une seule fois à l’intérieur de la Communauté.
III. L’Enjeu de la Transparence : La Lutte Contre la Fraude et l’Évasion Fiscale
L’élimination de la double imposition doit s’accompagner d’une coopération accrue pour éviter que les structures transfrontalières ne soient utilisées à des fins d’évasion. L’Acte Additionnel est un instrument puissant de lutte contre l’évasion fiscale.
1. L’Échange d’Informations Fiscale (Art. 19)
C’est l’outil le plus dissuasif. L’Acte oblige les administrations fiscales des États membres à coopérer activement par le biais de :
- Échange sur Demande : Une administration fiscale peut demander à une autre toute information nécessaire pour appliquer la législation fiscale communautaire ou nationale.
- Échange Spontané : Un État peut fournir spontanément des informations pertinentes, notamment lorsque le résident d’un État reçoit dans un autre État un revenu qui n’a pas été déclaré ou qui bénéficie d’une exonération qui pourrait être abusive.
Cette coopération permet de percer le secret bancaire et de suivre la trace des revenus, des capitaux et des actifs immobiliers au-delà des frontières nationales.
2. L’Assistance au Recouvrement (Art. 21)
L’Acte met en place un mécanisme de solidarité fiscale : un État membre peut solliciter l’aide d’un autre État pour recouvrer les créances fiscales (impôts, intérêts, amendes) sur son territoire.
- Principe de Réciprocité : L’État requis doit procéder au recouvrement comme s’il s’agissait de ses propres créances fiscales, dans le respect de ses propres lois.
Ceci sécurise la recette fiscale des États membres, empêchant les fraudeurs de se réfugier dans un pays voisin avec leurs avoirs.
3. La Prévention des Procédures d’Abus et l’Affaire des Prix de Transfert
L’Acte Additionnel se veut également un instrument de prévention des abus, en insistant sur la nécessité pour les États de s’assurer que l’élimination de la double imposition ne profite pas à des montages artificiels.
Bien que n’étant pas un Acte spécial sur les prix de transfert, les dispositions sur les bénéfices des entreprises (Art. 6 et 7) et les entreprises associées (Art. 9) intègrent implicitement les principes internationaux :
- Principe de pleine concurrence (Arm’s Length Principle) : Les relations financières et commerciales entre entreprises associées (société mère et filiale) doivent être évaluées comme si elles étaient menées entre entreprises totalement indépendantes. L’Acte permet aux administrations fiscales de réajuster les bénéfices si elles constatent que les conditions ont été manipulées pour transférer artificiellement des bénéfices vers un État à faible imposition.
IV. La Mise en Œuvre et les Enjeux Juridiques
La publication de cet Acte marque un engagement politique fort, mais sa mise en œuvre exige des efforts considérables de la part des États membres.
1. Les Procédures Amiables (Art. 22)
En cas de désaccord entre contribuables et administrations fiscales concernant l’interprétation ou l’application de l’Acte, une procédure amiable est prévue.
- Le contribuable peut soumettre son cas à l’autorité compétente de son État de résidence.
- Si l’autorité ne parvient pas à une solution unilatérale, elle peut s’efforcer de résoudre le cas par accord amiable avec l’autorité de l’autre État concerné.
Cette procédure est vitale pour garantir la certitude fiscale aux investisseurs et prévenir des litiges longs et coûteux.
2. L’Articulation avec les Lois Nationales et les Traités Existant
L’Acte Additionnel est un texte communautaire. En principe, il doit être transposé et respecté par les États membres. Juridiquement, en cas de conflit, la primauté du droit communautaire (CEDEAO) doit s’appliquer.
- Lois Nationales : Les États membres ont dû adapter leurs lois fiscales nationales pour intégrer les mécanismes d’allègement de la double imposition.
- Conventions Bilatérales Existant : Si deux États membres de la CEDEAO ont déjà une convention fiscale bilatérale (CFB), l’Acte Additionnel prévoit que les dispositions des CFB s’appliqueront dans la mesure où elles sont plus favorables. Le but n’est pas de dégrader l’existant, mais d’établir un socle commun minimal.
Conclusion : La Charte Fiscale de l’Intégration Ouest-Africaine
L’Acte Additionnel CEDEAO Double Imposition (2018) est une charte fiscale régionale, un jalon essentiel vers l’achèvement de la Zone de Libre Échange et l’Union Monétaire ouest-africaine. En garantissant l’équité fiscale et en organisant la coopération contre la fraude, il donne un signal fort aux investisseurs : votre capital est sécurisé, et vos revenus ne seront pas doublement pénalisés au sein de la CEDEAO.
Pour tout expert travaillant dans cet espace, la connaissance précise des mécanismes d’attribution (ES, retenues à la source) et des voies de recours (procédures amiables) est l’outil stratégique qui permet d’optimiser les structures d’investissement et de garantir la conformité.
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